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C’est ainsi que finit le monde [1/3]

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images.duckduckgoPar Peter Zeihan,
Melissa Taylor,
Michael N. Nayebi-Oskoui – Le 8 mai 2018 – Source Global View

J’aime à dire que je vends du contexte. Tout dépend de la façon dont des choses apparemment disparates comme les structures générationnelles et les modèles commerciaux, les évolutions politiques et les avancées technologiques interagissent. Dans tout système dynamique, il y a des gagnants et des perdants. Mon inquiétude est que le système mondial lui-même est confronté à un moment de vérité dont les pays du monde, et en premier lieu les États-Unis, ne parviendront pas à saisir l’occasion. Ce qui est une manière élégante de dire que ce que je vois vraiment – ce que je vends vraiment – c’est la fin du monde.

Note du Saker Francophone

Nous vous proposons une série de trois articles écrits par des partisans inconditionnels du Système. Ceci afin que vous puissiez vous plonger dans leur bulle et prendre la mesure de l'inéluctabilité du pire. Tout en analysant sans concessions les risques posés à l'ordre mondial par les politiques des États-Unis, au point d'en être eux-mêmes inquiets, tout en affichant une culture historique d'une rare indigence - ceci expliquant cela - ils n'en restent pas moins ancrés dans leurs dogmes d'infaillibilité et d'inculpabilité, pour reprendre la terminologie de Philippe Grasset sur le site dedefensa.org

Ce système mondial a été mis en place il y a 70 ans. Le noyau du système international durant la guerre froide était le soutien des Américains au commerce mondial et à l’ordre sécuritaire. Les Américains ont accepté d’assurer la sécurité mondiale et régionale de leurs alliés en échange d’égards sur les questions de sécurité. Lorsque les questions économiques ont pris de l’importance, les Américains ont eu tendance à céder. Lorsque les questions stratégiques ont pris de l’importance, les Américains ont eu tendance à agir selon leur volonté parce que c’était les termes de l’accord.

Cet arrangement a gelé la géopolitique car les pays précédemment indépendants ont été entraînés dans un système massif et interconnecté à cause non seulement de la puissance économique et militaire écrasante de l’Amérique, mais aussi de la puissance de la structure de l’alliance qu’elle contrôlait. C’était une force si puissante qu’elle a même attiré les ennemis de l’Amérique, un par un, en leur permettant de se développer grâce aux exportations. Dans le processus, les États-Unis ont rendu l’économie mondiale tributaire de la circulation relativement libre des biens, des personnes et de l’argent, tout en réduisant la nécessité des grandes armées qui ont défini la première moitié du XXe siècle [pour les autres ! NdT]. En d’autres termes, les États-Unis et leur alliance ont modifié chacun des élément importants du système mondial pour littéralement tous les pays du monde.

Tous sauf les États-Unis, qui ont réussi tout au long du processus à rester isolés économiquement. Ils maintiennent leur propre armée, produisent en grande partie ce dont ils ont besoin – bien qu’ils importent beaucoup de ce qu’ils veulent – et demeurent la plus grande économie du monde. Avec la chute de l’Union soviétique et la fin de la guerre froide, alors que le monde commençait vraiment à parier sur le projet américain pour leurs économies, l’intérêt américain pour ce système incroyablement onéreux s’est évanoui. Cela a pris un certain temps pour les États-Unis, mais ils l’ont finalement remarqué.

Il n’y a pas de remplaçant pour le pouvoir américain, économique ou militaire. L’Europe en tant que concept, la Chine et la Russie sont toutes dans des luttes existentielles et chacune d’elles est susceptible de perdre. Il n’y a pas de monnaie de réserve alternative. Il n’y a personne qui puisse réagir à un événement n’importe où dans le monde comme le peuvent les États-Unis. Les Américains laissent un vide de pouvoir et nous savons ce qui se passe dans ces cas là.

J’ai parlé et écrit à propos de cette « fin » imminente pendant la plus grande partie de la dernière décennie. Une des choses amusantes – et accessoirement, l’une des choses qui m’aident à rester sain d’esprit – est que tout cela est très abstrait. Je pouvais gaiement dire que des guerres vont se produire, que les chaînes d’approvisionnement s’effondreront, que les lumières s’éteindront, que la famine est inévitable, mais tant que les délais sont flous et que les lieux sont loin, il est facile de parler et d’écrire avec un certain degré de détachement. Cela ne m’affecte pas, personnellement, et certainement pas maintenant.

Je pense/crains d’être sur le point de perdre cette sensation d’isolement. La fin est sacrément proche. Savoir exactement comment cela se jouera est encore très hasardeux. Le coup par coup importera énormément à court et même à moyen terme. Donc, je vais exposer les plus grands événements qui semblent donner forme au désordre au cours de plusieurs articles d’information.

ispahan
Ispahan – Iran

Événement 1 : les États-Unis se sont retirés de l’accord nucléaire iranien

L’administration Obama n’a pas signé l’accord sur le nucléaire parce qu’elle pensait que l’Iran deviendrait soudainement un membre de la communauté internationale. Après avoir été l’arbitre de la région pendant des décennies, l’appareil de sécurité américain en particulier et le public américain en général voulaient sortir de la région. Cela signifiait que la Maison Blanche devait faire un choix.

La première option était de désigner un gagnant. Ce vainqueur patrouillerait dans la région, maintiendrait les pouvoirs locaux en ligne et, en général, ferait ce que les Américains avaient fait : garder la région aussi stable et statique que possible.

L’équipe d’Obama n’a pas aimé les candidats. L’Iran était hors jeu par principe. L’Arabie saoudite n’a pas mis en place une armée significative, encore moins une marine. Israël était puissant, mais petit, et le fait religieux signifiait qu’il ne pourrait jamais diriger la région. La Turquie aurait peut-être été capable, mais elle avait d’autres intérêts sans rapport avec l’Europe, le Caucase et la Méditerranée, et n’a donc jamais pu concentrer ses efforts sur une région aussi délicate que le Moyen-Orient.

Même à ce stade-là, il n’y avait aucune garantie qu’un gagnant se préoccuperait des intérêts américains à moins que ceux-ci conservent une présence militaire importante… ce qui irait à l’encontre d’un retrait conséquent. Et la dernière chose que Washington voulait était l’émergence d’un leader régional qui n’était pas profondément pro-américain.

Il restait la seconde option, établir un équilibre régional du pouvoir afin que la région s’auto-régule. Cet équilibre, en fin de compte, est ce que l’accord nucléaire cherchait à réaliser : réhabiliter partiellement l’Iran, le réintroduire partiellement dans le système international afin qu’il puisse contrer – et être contré par – les autres acteurs régionaux. Ce faisant – c’est ce que dit la théorie – les guerres dans la région seront nombreuses, mais limitées.

Le principal argument de vente de l’option de l’équilibre des pouvoirs était que le Moyen-Orient avait tellement de centres de pouvoir concurrentiels qu’aucun pays ne pourrait jamais obtenir un avantage significatif à long terme. Cela permettrait à toutes les (nombreuses) batailles attendues de rester circonscrites à la région. Cela semble un peu cruel, mais les guerres civiles en cours en Syrie et au Yémen sont de bons exemples que la stratégie d’équilibre des forces fonctionne parce que, dans ces conflits, les pouvoirs de la région se prennent à la gorge les uns des autres.

Le retrait de Trump de l’accord nucléaire fait deux choses. Premièrement, il détruit la stratégie de l’équilibre du pouvoir en réduisant à néant les moyens de l’acteur le plus actif de la région : l’Iran. La reprise des sanctions financières mondiales contre l’Iran réduira au moins de moitié les recettes d’exportation du pays d’ici la fin de l’année. Cela signifie que les Américains auront besoin d’une nouvelle stratégie pour la région. À l’heure actuelle, l’administration Trump n’a rien dit de ce que celle-ci pourrait être. Mais c’est un problème pour plus tard.

De mon point de vue, le deuxième résultat du retrait est beaucoup plus important. Les anciennes et nouvelles sanctions contre l’Iran dévoilent ce qui a toujours été l’arme économique la plus puissante des Américains : les sanctions secondaires.

Les sanctions secondaires ne sont pas quelque chose que les Américains ont souvent utilisé. Elles autorisent des sanctions à l’égard de ceux qui voudraient les détourner : faire des affaires avec le pays sanctionné (dans ce cas, l’Iran) ou faire des affaires avec les États-Unis. Comme le marché iranien représente environ 1% de la taille du marché américain, il y aura peut-être quelques gémissements, mais pour la plupart des entreprises, la décision n’est pas si difficile. Et c’est sans considérer la démographie à long terme des principales économies du monde.

Ce qui est vraiment différent cette fois-ci, c’est la présence de certaines infrastructures institutionnelles que l’administration Obama a mises en place il y a quelques années pour forcer les Iraniens à négocier l’accord nucléaire en premier lieu. Par une série de négociations bilatérales épuisantes, l’équipe d’Obama a pris une bonne main sur ce qu’on appelle SWIFT, un système de gestion des transferts financiers entre les différents acteurs de l’espace économique international. Ils ont utilisé ce nouveau pouvoir pour appliquer des sanctions secondaires à tout ce qui concernait le dollar américain. Étant donné que le dollar américain est la seule monnaie d’échange mondiale (que la position de l’euro s’est rétrécie depuis des années et que le yuan chinois a même reculé dernièrement), le résultat final a été de réduire tous les violeurs de sanctions de presque tout le commerce international, même si ceux-ci n’ont aucune exposition directe au marché américain.

Je pense que l’administration Trump comprend parfaitement la puissance de l’outil qu’elle vient d’utiliser, et cet outil est parfait pour le travail de tout le reste dans l’agenda international de l’administration.

À suivre l’Europe sort ses tripes

Par Peter Zeihan,
Melissa Taylor,
Michael N. Nayebi-Oskoui

Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone


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