Distinguer la part légitime d’une guerre économique hybride.
Par Jean-Maxime Corneille – Le 5 juin 2018
L’imposition de droits de douane (25 % sur l’acier, 10 % sur l’aluminium) par les États-Unis à l’encontre de leurs partenaires de l’Union Européenne (UE) ou de l’ALENA (Mexique et Canada), doit être comprise dans le cadre d’une guerre économique qui n’a jamais cessé à l’échelle du monde. Cependant il ne faut pas oublier que cette guerre économique est avant tout voulue par les milieux financiers, bien plus que par les États ou par les peuples.
Elle fait rage ici entre les États-Unis et la Chine, mais ce sont les Européens qui vont en être les premières victimes collatérales, du fait de leur docilité proverbiale vis-à-vis des États-Unis hier, et vis-à-vis de l’OMC aujourd’hui.
L’Union Européenne, qui fut en effet malmenée durant des années par l’OMC, quand cette dernière était poussée en avant par les États-Unis pour ouvrir de force les marchés européens, est aujourd’hui frappée d’un curieux « syndrome de Stockholm » pro-OMC. Et tous les médias PC [Politiquement Corrects/principaux Courants, NdA] sont unanimes à son soutien, afin de dénoncer ce nouvel élan protectionniste de l’Administration Trump annoncé par l’entremise de son Secrétaire au Commerce, Wilbur Ross.
Pourtant, il est capital de comprendre une dualité fondamentale dans cette décision de l’Administration Trump, qui est en fait bien plus positive que l’on ne pourrait le comprendre, à condition d’avoir à l’esprit l’arrière-plan historique requis. Cette décision américaine en forme de chantage économique mafieux contre l’Europe, illustre en fait une stratégie de guerre économique « hybride » consistant à se refaire une santé économique sur le dos de ses alliés, de deux façons distinctes :
Premièrement, une attrition délibérée des alliés ciblant spécialement la France (dont les intérêts économiques sont par exemple chassés d’Iran) et l’Allemagne (à l’encontre de ses exportations, notamment automobiles). Cette démarche rappelle au passage ironiquement le bridage économique imposé par la Couronne britannique aux Treize colonies, et qui fut à l’origine de la Déclaration d’indépendance américaine de 1776 : pour s’assurer de la soumission de ses alliés, il faut les ruiner préalablement. Et il n’y a aucune chance d’une « révolte » immédiate des pays européens, même si une prise de conscience peut être identifiée à travers la fronde de certains milieux affairistes franco-allemands contre les décisions atlantistes de leurs gouvernements…
Ainsi, l’UE face aux États-Unis, c’est un peu Carthage face à Rome : une puissance commerciale face à une puissance militaire, mais sans les mercenaires d’Hannibal. L’UE n’a aucune volonté de puissance, ou tout du moins de défense de ses intérêts stratégiques commerciaux, et n’a même pas la moindre vision si ce n’est de demeurer une sorte de « grand marché mou », pillable à terme par tous les opérateurs extra-européens. Tout au plus, Jean-Claude Juncker, Président de la Commission européenne, n’annonce-t-il que quelques pitoyables représailles sur le tabac, le bourbon et les jeans…
Deuxièmement, une dynamique de récupération de la souveraineté de l’État américain, qui est structurellement opposée à la doctrine libre-échangiste de l’OMC. Et c’est cette dynamique qui doit être comprise ici comme étant éminemment positive, à la fois pour les États-Unis et potentiellement pour l’Europe (à condition de la distinguer de l’Union Européenne).
C’est là certainement une action parmi les plus spectaculaires qui ont été opérées depuis le début de la présidence Trump, aux côtés de la renégociation des accords de libre-échange (TIPP et ALENA) : des accords en fait conçus pour ruiner les nations les plus développées (ici : les États-Unis), en instrumentalisant sans cesse contre elles des nations les moins développées (ici : par le moyen des délocalisations au Mexique ou en Asie). Mais cette instrumentalisation opérée par les milieux financiers n’est cependant jamais dans l’intérêt d’un quelconque État-nation, mais bien dans l’intérêt exclusif des opérateurs financiers bénéficiant de tous ces phénomènes de délocalisation.
Pour ce sujet comme pour de nombreux autres, il nous faut nous poser une meilleure question : celle de la légitimité, tant de l’UE que de l’OMC.
Car l’une comme l’autre de ces deux institutions n’en ont aucune, elles ne représentent aucunement les intérêts des peuples des États-nations, mais bien plus ceux des seuls intérêts financiers et affairistes ayant œuvré depuis des années pour la mondialisation. Ceux-là œuvrent invariablement pour un monde sans frontières, permettant inlassablement de maximiser des profits illégitimes en créant partout la ruine, au besoin par la corruption et l’illégalité.
L’OMC n’est que l’application au monde du modèle économique historiquement anglais : « acheter pas cher pour vendre cher », c’est-à-dire une logique de boutiquier considérant les salaires versés à son propre peuple uniquement comme un manque à gagner pour la City. L’UE a été conçue dès l’origine, et surtout depuis l’Acte Unique Européen (1986), selon le même modèle : et elle se fait aujourd’hui le chantre de ce modèle mondialiste généralisé au monde entier, oubliant soudainement qu’elle l’a subi depuis des années. Ceci, en oubliant volontiers qu’il existait un deuxième modèle d’économie physique, dit « continental » ou « américain » : un modèle pour lequel les salaires et le développement social, permettait la créativité, l’innovation soutenues toutes deux par la finance et les assurances, la somme du tout forgeant les succès économiques d’un peuple. Les puissantes classes moyennes lettrées allemandes jusqu’à la Première Guerre mondiale, ou américaines jusqu’aux années 1990, la réputation de qualité et de robustesse qui fut associée aux produits manufacturés dans ces deux pays, en furent les conséquences les plus indiscutables…
Cette dualité entre deux modèles économiques fut parfaitement décrite par les économistes de Lincoln (Peshine Smith et Henry C. Carey), elle semble juste en apparence oubliée aujourd’hui face au triomphe apparent du modèle britannique généralisé au monde sous l’égide de l’OMC. Ceci, pour le plus grand bonheur des intermédiaires financiers qui encaissent les profits des délocalisations jouant sur le dumping tous azimuts. C’est le modèle qui fut historiquement désiré et promu par la City de Londres et par Wall Street, se nourrissant de la ruine des États-nations, mais ce modèle ne fut jamais conçu dans l’intérêt de ces-dits États-nations…
Il faut comprendre que les États-Unis ont été spécialement ciblés par ce modèle mondialiste. Plus concrètement : la démolition sociale des États-Unis a été sciemment ourdie par le conglomérat d’intérêts gravitant autour de Wall Street, dès le milieu des années 1970.
Or c’est précisément cette démolition sociale des États-Unis par Wall Street, qui est interrompue par la « Trumponomique », c’est-à-dire le fait que Donald Trump prétende revenir (au moins en partie) à un système de souveraineté économique : c’est le seul à même de « ramener les emplois aux États-Unis », c’est-à-dire revenir tout simplement au bon sens, plutôt que de générer sans cesse « des esclaves d’un côté, des chômeurs de l’autre »…
Car il faut garder à l’esprit que les délocalisations massives survenues depuis les années 1970, ont été voulues non pas par la Chine, mais bien par Wall Street, au mépris des intérêts stratégiques des États-Unis. Moyennant au passage de lourdes complicités notamment avec les Clinton, lourdement corrompus tant par des intérêts chinois que par de grandes firmes comme Walmart, bénéficiant de toutes ces délocalisations maximisant les profits. Et d’ailleurs, derrière des candidats « contre-feux » érigés contre Trump, comme Ted Cruz, il y avait toute cette idéologie mondialiste de l’ALENA promue historiquement par le Bilderberg, voulant faire de l’Amérique du Nord une grande zone sans frontières : utilisant les Mexicains artificiellement paupérisés par Wall Street pour faire baisser les niveaux sociaux américains, tandis que le Canada était lourdement subverti depuis les années 1990, aboutissant à une marionnette sidérante comme Justin Trudeau aujourd’hui…
Or cette logique consistant à plumer sans cesse les uns par l’instrumentalisation des autres, à instrumentaliser les plus pauvres pour détruire sans cesse les moins pauvres et en excitant partout les haines artificielles, n’est que l’un des deux modèles économiques existants. Par opposition, c’est bien le modèle historiquement américain d’économie physique, dit également « continental » (plus ou moins mis en œuvre par tous les pays européens sauf l’Angleterre avant la Première Guerre mondiale), qui est ici réactivé par Donald Trump. Il est notamment caractérisé par des droits de douane qui sont l’objet de la présente décision de Trump, dont la fonction première est de permettre de développer des entreprises nationales performantes « en vase clos », protégées de la concurrence déloyale internationale jouant sans cesse sur le dumping social.
Face à cette évolution positive pour les États-Unis mise en œuvre par Donald Trump, consistant à revenir à une souveraineté économique assumée quitte à mépriser cordialement tant l’OMC que l’UE, un autre risque est cependant à craindre, qui est en fait d’ores et déjà identifiable depuis la victoire de Trump : la riposte finale de Wall Street visera immanquablement cette évolution aux États-Unis, à travers le glissement mondial vers la sortie du système de Bretton-Woods et donc du dollar. Ceci, outre de lourdes tentatives de déstabilisations intérieures visant les États-Unis comme l’affaire de Charlottesville, caractérisées notamment par les techniques d’agit’prop chères aux milieux subversifs ayant pignon sur rue à Wall Street, via des entremetteurs hautement subversifs comme George Soros…
Cet abandon du système de Bretton-Woods et du pétrodollar constitue également un enjeu caché, qui se profile derrière toute la dynamique de chantage économique imposée par les États-Unis à l’Iran, avec parallèlement une stratégie d’entrisme que joue Wall Street à l’encontre de la Chine…
Jean-Maxime Corneille
Note du Saker Francophonoe On peut ajouter à cette analyse que les globalistes jouent à un jeu dangereux. La fin de la puissance économique et financière localisée aux USA veut dire la fin de l'armée américaine comme gendarme du monde. Sans ce gendarme pour faire appliquer les lois de l'Empire, la globalisation va vite s'effriter et c'est bien ce qui se passe avec la Russie en passe de vendre ses S-400 à tous les états rebelles.