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Le plafonnement des prix du pétrole et ses conséquences sur la relation Russie-Inde

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Par Conor Gallagher − Le 13 novembre 2022 − Source Naked Capitalism

Pendant des mois, les États-Unis ont essayé à plusieurs reprises de contraindre l’Inde à couper ses liens avec la Russie, donc à abandonner ses intérêts nationaux. New Delhi, cependant, continue de repousser les tentatives de Washington de soumettre son économie à ses diktats.

La dernière affaire en date concerne le plafonnement du prix du pétrole russe par le G7 et l’interdiction par l’UE et le Royaume-Uni du transport maritime et des services connexes pour un brut russe supérieur au prix plafond. L’Inde n’a aucun intérêt à rejoindre l’initiative américaine, car elle bénéficie d’une forte réduction sur le pétrole russe et souhaite maintenir de bonnes relations avec son ancien partenaire stratégique. Le ministre indien des affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar, était justement à Moscou le 8 novembre pour discuter de la poursuite des ventes de pétrole. 

Extrait du South China Morning Post :

Le ministre indien des affaires étrangères a salué mardi la relation « forte et stable » de New Delhi avec Moscou, lors de sa première visite dans cette ville depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février.

Subrahmanyam Jaishankar a également déclaré que l’Inde avait l’intention de continuer à acheter du pétrole russe, faisant fi une fois de plus de l’appel lancé par les États-Unis à leurs alliés et partenaires à isoler la Russie des marchés mondiaux.

Les plans du G7 sont susceptibles de faire grimper les prix du pétrole (bien que la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, affirme le contraire) et de réduire la disponibilité des pétroliers, deux facteurs qui menacent la sécurité énergétique de l’Inde et nuisent à son économie, l’Inde étant le troisième consommateur et importateur de pétrole au monde.

La Russie a déclaré qu’elle ne vendrait pas de pétrole aux pays qui participent au système de plafonnement des prix, et M. Jaishankar a affirmé à plusieurs reprises que l’Inde ne pouvait pas se permettre d’acheter du pétrole à des prix élevés – du moins pas sans compromettre sa croissance économique, qui devrait atteindre 6,1 % en 2023, soit la croissance la plus rapide des grandes économies du monde. Selon Energy Intelligence :

La Russie est devenue le premier fournisseur de brut de l’Inde en octobre, avec plus de 900 000 barils par jour, soit environ un cinquième de la demande indienne. La principale préoccupation des deux pays est de s’assurer que le pétrole russe continue à circuler après les interdictions de l’UE et du Royaume-Uni du 5 décembre et le plafonnement des prix du G7 qui en découle.

Mais malgré l’attitude optimiste de M. Jaishankar à Moscou, les raffineurs d’État indiens n’ont pas passé de commandes de brut au-delà du 5 décembre en raison d’incertitudes quant à la disponibilité du transport maritime et de l’assurance, selon Energy Intelligence. Et une tentative récente d’un acheteur indien d’utiliser le plafonnement des prix dans les négociations avec un vendeur russe a incité ce dernier à abandonner l’affaire, selon des sources du marché.

Le manque de clarté actuel du G7 pourrait être intentionnel. Les exportations de pétrole russe ont déjà commencé à chuter, et Bruce Paulsen, expert en sanctions et associé du cabinet d’avocats Seward & Kissel, a déclaré à American Shipper : « Si les orientations sur la conformité [au plafonnement des prix] ne sont pas données rapidement, certains acteurs du secteur pourraient rester sur la touche jusqu’à ce qu’ils puissent déterminer que les expéditions dans le cadre du plafonnement des prix sont sûres. »

Les États-Unis, par un habile tour de passe-passe, ont cessé de faire pression sur l’Inde pour qu’elle respecte le plafonnement des prix, et Mme Yellen déclare maintenant que Washington est « heureuse » que New Delhi continue d’acheter autant de pétrole russe qu’elle le souhaite, y compris à des prix supérieurs au plafond imposé par le G7. Mais il y a quelques mises en garde : L’Inde ne pourra pas utiliser les services occidentaux d’assurance, de financement ou de transport maritime pour transporter ce pétrole.

« La Russie va avoir beaucoup de mal à continuer à expédier autant de pétrole qu’actuellement lorsque l’UE cessera d’acheter du pétrole russe« , a déclaré Mme Yellen à Reuters vendredi. « Ils vont être fortement à la recherche d’acheteurs, et de nombreux acheteurs dépendent des services occidentaux. »

Energy Intelligence explique pourquoi cela équivaut à un plafonnement de facto des prix :

Les raffineurs indiens ont la capacité d’absorber 600 000 b/j supplémentaires de brut russe, à condition qu’il surpasse les qualités de base de celui du Moyen-Orient qui constitue la base vitale des 5 millions de b/j de raffinage du pays. Mais la disponibilité du transport maritime, de l’assurance et des canaux de paiement est essentielle. À partir du 5 décembre, les pétroliers et les assurances liées aux pays de l’UE et du G7 – qui dominent le transport maritime du pétrole dans le monde – ne pourront plus vendre de brut russe, à moins que ces volumes ne soient vendus dans le cadre d’un plafonnement des prix, encore indéterminé.

Environ 90 % du commerce de pétrole en Inde est transporté par des pétroliers étrangers, ce qui pose des problèmes, a déclaré Narendra Taneja, analyste énergétique indépendant. L’assurance ne semble pas aussi problématique, et les analystes affirment que les entreprises russes et chinoises pourront s’en charger.

Cela pourrait laisser la Russie dépendante d’une flotte fantôme de vieux pétroliers à la propriété opaque qui ne se fait pas payer en dollars. Selon Freight Waves :

La société de courtage Braemar a indiqué que 33 pétroliers qui s’occupaient auparavant d’exportations iraniennes ou vénézuéliennes ont transporté des exportations russes depuis avril, principalement vers la Chine et accessoirement vers l’Inde.

Braemar a défini cette flotte obscure de pétroliers qui ont transporté du brut iranien ou vénézuélien au moins une fois au cours de l’année écoulée. Elle estime que le total actuel est de 240 pétroliers, pour la plupart de petite et moyenne taille, dont 74 % ont plus de 19 ans. Quatre-vingts de ces navires sont de très gros transporteurs de brut (VLCC, pétroliers transportant 2 millions de barils) qui ne peuvent pas entrer dans les ports russes mais pourraient être utilisés, pour les cargaisons russes, en faisant du transfert de navires à navires.

Si l’ensemble de cette flotte obscure passait au service de la Russie et était aussi efficace que la « flotte classique« , cela suffirait amplement à maintenir le flux des exportations russes, mais « les navires engagés dans le commerce illicite sont très inefficaces« , a souligné Braemar.

En même temps que Washington fait pression sur New Delhi pour qu’elle se conforme au plafonnement des prix, elle importe de l’Inde davantage de gasoil, qui est principalement utilisé dans les raffineries pour produire d’autres produits tels que l’essence et le diesel. D’après Reuters :

La Russie était un fournisseur clé de VGO pour les raffineurs américains avant que la guerre en Ukraine n’éclate.

« Étant donné que les États-Unis n’achètent plus de pétrole russe, ils cherchent toutes les alternatives possibles« , a déclaré Roslan Khasawneh, analyste principal du fioul chez Vortexa….

Les sanctions américaines et européennes ne s’appliquent pas aux produits raffinés fabriqués à partir de brut russe exporté d’un pays tiers, car ils ne sont pas d’origine russe. En Inde, les raffineurs ont augmenté les importations de pétrole russe à prix réduit à 793 000 barils par jour entre avril et octobre, contre seulement 38 000 bpj au cours de la même période précédente, selon les données commerciales.

L’Inde rejoint la liste des pays – dont l’Arabie saoudite, la Serbie et la Turquie – qui ennuient sérieusement Washington car ils refusent de se soumettre.

Tout cela doit être un choc pour Washington, car sa stratégie indo-pacifique de ces dernières années a toujours compté sur une Inde « partageant les mêmes idées » pour aider à contrer la Chine et exécuter les ordres des États-Unis en Asie du Sud-Est. La possibilité que l’Inde poursuive ses propres intérêts nationaux ne semble pas avoir été prise en compte dans cette stratégie.

La tension sur le plafonnement des prix russes n’est que le dernier d’une série de désaccords entre New Delhi et Washington. Les sanctions américaines contre les exportations de pétrole iranien privent l’Inde du pétrole iranien bon marché et la contraignent à acheter des produits énergétiques américains plus chers. L’Inde est désormais la première destination des exportations de pétrole des États-Unis.

Washington arme la Grèce et Chypre dans le but de pousser la Turquie à rompre ses liens amicaux avec la Russie ; elle fait de même avec le Pakistan pour faire pression sur l’Inde. Les États-Unis ont recommencé à accommoder le Pakistan après l’éviction de l’ancien premier ministre pakistanais Imran Khan, qui a attribué aux États-Unis sa perte de pouvoir lors d’un vote de défiance.

En septembre, le département d’État américain a rendu l’Inde furieuse en approuvant un contrat de 450 millions de dollars pour moderniser la flotte de F-16 du Pakistan. Peu après, l’ambassadeur américain au Pakistan a créé de nouvelles tensions lors d’une visite dans la partie du Cachemire tenue par le Pakistan, qu’il a appelée par son nom pakistanais au lieu du nom approuvé par les Nations unies de « Cachemire administré par le Pakistan« .

Le 8 novembre, le porte-parole du département d’État américain, Ned Price, a fait la leçon à l’Inde sur ce qui est dans son intérêt :

Nous avons également été clairs sur le fait que ce n’est pas le moment de faire comme si de rien n’était avec la Russie, et il incombe aux pays du monde entier de faire ce qu’ils peuvent pour réduire leurs liens économiques avec la Russie. C’est dans l’intérêt collectif, mais aussi dans l’intérêt bilatéral des pays du monde entier de mettre fin à leur dépendance à l’égard de l’énergie russe, et certainement de la réduire au fil du temps. Un certain nombre de pays ont appris à leurs dépens que la Russie n’est pas une source d’énergie fiable. La Russie n’est pas un fournisseur fiable d’assistance en matière de sécurité. La Russie est loin d’être fiable dans tous les domaines. Il est donc non seulement dans l’intérêt de l’Ukraine, de la région et des intérêts collectifs que l’Inde réduise sa dépendance à l’égard de la Russie au fil du temps, mais aussi dans l’intérêt bilatéral de l’Inde, compte tenu de ce que nous voyons concernant la Russie.

Nous devrons attendre et voir si le peuple indien comprend le message, car pour l’instant, c’est le contraire qui apparaît. La fondation indienne Observer Research Foundation a publié les résultats d’un sondage le 2 novembre, montrant que 43 % des Indiens considèrent la Russie comme le partenaire le plus fiable de leur pays, loin devant les États-Unis (27 %).

Washington est bien en peine d’expliquer en quoi le fait que New Delhi réduise ses liens économiques avec la Russie serait une bonne chose pour l’Inde.

Alimenté par une forte augmentation des importations de pétrole et d’engrais, le commerce bilatéral entre l’Inde et la Russie a atteint un niveau record de 18,2 milliards de dollars entre avril et août de cette année financière, selon les dernières données disponibles auprès du ministère du commerce. Cela fait de la Russie le septième partenaire commercial de l’Inde, alors qu’elle occupait la 25e place l’année dernière. Les États-Unis, la Chine, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, l’Irak et l’Indonésie restent devant la Russie.

L’Inde, l’Iran et la Russie ont également passé les vingt dernières années à développer le corridor international de transport Nord-Sud afin d’accroître le commerce entre les pays, et ce corridor a pris une importance accrue avec les sanctions occidentales contre Moscou. Extrait de The LoadStar :

RZD Logistics, une filiale du monopole ferroviaire russe RZD, a lancé des services réguliers de trains de conteneurs entre Moscou et l’Iran afin de desservir, par transbordement, le commerce croissant avec l’Inde.

L’objectif est de maximiser l’utilisation de l’alternative International North South Transport Corridor (INSTC), un réseau de fret multimodal transfrontalier en Asie centrale qui aide les deux partenaires stratégiques à contourner les problèmes de chaîne d’approvisionnement créés par les sanctions occidentales contre la Russie.

Selon des sources industrielles, la durée du trajet entre l’intérieur des terres et l’océan est estimée à 35 jours, contre 40 environ pour le transport maritime traditionnel.

©Peter Hermes Furian.

De la même manière que la pression exercée par les États-Unis sur de nombreux pays se retourne contre eux, la pression exercée sur l’Inde semble ne faire qu’encourager New Delhi à trouver un moyen de contourner le dollar. Le Loadstar ajoute que la Reserve Bank of India est également en train de mettre en œuvre de nouvelles directives réglementaires pour aider les exportateurs à régler les expéditions en roupies, au lieu de dollars américains qui provoquent des goulots d’étranglement liés aux sanctions :

La Fédération des organisations d’exportateurs indiens a également fait pression sur les dirigeants du gouvernement pour que la méthode de la monnaie alternative soit étendue au-delà des marchés russes.

« Bien que la guerre Russie-Ukraine constitue un revers pour nos exportations à court terme, nous envisageons d’augmenter nos exportations vers la Russie une fois que le mécanisme de paiement en roupies sera opérationnel« , a noté la FIEO.

Si l’Inde bénéficie du brut russe à prix réduit, elle souhaite également maintenir de bonnes relations avec Moscou afin d’éviter de trop rapprocher la Russie de la Chine, et potentiellement du Pakistan, les principaux rivaux de l’Inde en Asie.

Le Pakistan demande également au ministère russe du commerce d’introduire un accord d’échange de devises afin de renforcer les liens économiques entre les deux pays.

Conor Gallagher

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.


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