…En confondant à dessein deux types de missiles et en déformant des déclarations officielles.
Par Moon of Alabama – Le 4 décembre 2018
Une dépêche récemment publiée par Reuters prétend :
L’Iran veut augmenter la portée de ses missiles malgré l’opposition des États Unis.
Cette affirmation est fausse et basée sur une déformation volontaire de la source citée par Reuters.
GENEVA (Reuters) – L’Iran veut allonger la portée de ses missiles, selon une déclaration faite par un militaire de haut rang, mardi dernier, Une initiative qui pourrait agacer les États Unis qui considèrent le programme d’armement de Téhéran comme une menace pour la sécurité régionale.
Le président étatsunien Donald Trump s’est retiré de l’accord nucléaire iranien en mai et a réimposé des sanctions contre la république islamique, critiquant cet accord qui n’incluait pas de clauses contre le développement de missiles balistiques iraniens.
“Un de nos plus important programme est l’augmentation de la portée des missiles et des munitions” a déclaré le chef de l’armée de l’air, le brigadier général Aziz Nasirzadeh, selon l’agence semi officiel Fars News
« Nous ne nous limiterons pas sur ce plan »
La portée actuelle des missiles de l’armée iranienne est de 2.000 km et les bases étatsuniennes en Afghanistan, dans les Emirats Arabe Unis et le Qatar, ainsi que les portes avions tournant dans le Golfe sont à portée de tir.
L’article de Reuters confond les missiles sol-air avec les missiles air-air que le chef de l’armée de l’air veut développer. Les États Unis n’ont rien à faire des missiles air-air iraniens puisqu’ils en ont de bien supérieurs. Les États Unis s’inquiètent des missiles balistiques iraniens. Mais le général iranien ne parlait pas de ceux-là. Sa déclaration a été sortie de son contexte et utilisée pour de la propagande.
L’article de Fars auquel se référence Reuters est très clair sur ce que veut dire le général de l’armée de l’air, même si son titre est peut-être trop vague :
L’Iran ne se donne pas de limites pour allonger la portée de ses missiles.
Le chef de l’armée de l’air iranienne, le brigadier général Aziz Nasirzadeh, a annoncé le projet d’élargissement de la gamme de missiles air-air du pays
« Aujourd’hui nous cherchons à élargir notre gamme de missiles air-air. Ainsi l’un de nos projets les plus importants est d’augmenter la portée des missiles et des munitions. Nous recherchons des missiles BVR [Beyond Visual Range] et des munitions et ne nous donnons aucune limite car l’armée de l’air doit augmenter la force de dissuasion du pays aux côtés des autres forces (armées) » déclarait le général Nasirzadeh à FNA, mardi.
La citation tronquée de Reuters se limite à la phrase “Ainsi l’un de nos projets les plus importants est d’augmenter la portée des missiles et des munitions” . Dans la version originale cette partie est devancée et suivie par son contexte, des missiles air-air. Ce contexte on ne peut plus clair étant mis de côté, Reuters laisse donc entendre que la déclaration concerne les missiles balistiques alors que ce n’est absolument pas le cas.
Les missiles air-air sont utilisés par les avions de chasse contre d’autres avions de chasse ou bombardiers. Les missiles BVR ont plus de 37 km de portée et permettent des attaques contre des avions détectés par radar. Ce sont des munitions habituelles pour toute armée de l’air se voulant moderne et ont peu d’impact stratégique.
Les missiles balistiques sont des missiles sol-sol à longue portée. L’Iran a volontairement limité la portée de ses missiles à 2.000 km.
Le brigadier général Nasirzadeh est le chef de l’armée de l’air iranienne. Les missiles balistiques iraniens sont sous la responsabilité du brigadier général Amir Ali Hajizadeh, chef de la force balistique et spatiale du corps des gardes révolutionnaires. Ce sont deux organisations très différentes, ayant des commandements et des types de missiles différents. L’administration Trump s’oppose aux missiles balistiques iraniens et pas aux faibles capacités de ses missiles air-air.
Les journalistes de Reuters le savent sûrement. Il est évident que cet article n’est qu’une manipulation de celui de FARS.
Cet article doit être compris dans le contexte de la campagne actuel de diabolisation de l’Iran pour déclencher une guerre voulue par les néocons de l’administration Trump [pour le compte d’Israël, NdT], c’est-à-dire son conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, et son secrétaire d’État, Mike Pompeo.
Le 1er décembre Pompeo tweetait :
Department of State @StateDept – 17:01 UTC – 1 Dec 2018
@SecPompeo: Le régime iranien vient de tester un tir de missiles balistique de moyenne portée capable de toucher l’Europe et le Moyen Orient. Cela en violation de la résolution #UNSC 2231. La prolifération balistique iranienne continue. Nous augmentons les risques d’escalade si nous ne rétablissons pas la dissuasion.
La déclaration de presse du Département d’État attaché au tweet précédent est titrée :
L’Iran fait des essais de missiles balistiques violant ainsi l’interdiction du Conseil de sécurité des Nations Unis
Le régime iranien vient de faire des essais de tirs de missiles balistiques de moyenne portée capables de transporter plusieurs têtes explosives. Ces missiles ont une portée qui leur permet de frapper certaines parties de l’Europe et tout le Moyen Orient. Ces essais violent la résolution 2231 du Conseil de sécurité des Nations Unis qui interdit à l’Iran de prendre part à « toutes activités en relation avec les missiles balistiques capables de transporter des bombes nucléaires, y compris les essais en utilisant de telles technologies balistiques… »
Comme nous l’annonçons depuis quelques temps, les essais et la prolifération de missiles par l’Iran est en expansion. Nous augmenterons les risques d’escalade dans la région si nous manquons de rétablir la dissuasion. Nous condamnons ces activités et appelons l’Iran a cesser immédiatement toutes ses activités autour des missiles balistiques capables de transporter des armes nucléaires.
Ce tweet et cette déclaration sont pleins de mensonges.
La résolution UNSC 2231 a été rompue par les États Unis lorsqu’ils se sont retirés de l’accord nucléaire iranien. L’Iran et les autres signataires la respectent.
Cette résolution “n’interdit” pas à l’Iran de tester et de s’équiper en missiles balistiques. Dans l’annexe II partie 3 il est dit (page 99/104) :
Il est demandé à l’Iran de ne pas entreprendre d’activités en lien avec les missiles balistiques capables de transporter des armes nucléaires, y compris les essais utilisant de telles technologies balistiques…
« Il est demandé » tient du langage diplomatique des Nations Unis et veut dire « Ce serait bien ». Elle est non contraignante. De plus, l’utilisation de « il est demandé » est un assouplissement de la résolution 1929, maintenant défunte, dans laquelle le Conseil :
Décide que l’Iran n’entreprendra aucune activité en lien avec les missiles balistiques capables de transporter des armes nucléaires, y compris les essais utilisant de telles technologies balistiques…
Cet assouplissement entre une franche interdiction dans la résolution 1929 et la «demande » en annexe de la résolution 2231 a été largement interprété comme donnant à l’Iran quartier libre pour développer son programme de missiles balistiques. Les États Unis et les européens peuvent bien désirer une autre formulation c’est pourtant ce qui a été agrée dans l’accord nucléaire.
Que les missiles iraniens puissent toucher l’Europe est aussi un non-sens. L’Iran limite volontairement la portée de ses missiles à 2.000 km. Avec cette portée il aurait quelques problèmes à atteindre quoi que ce soit « d’européen » au-delà du sud-ouest de la Bulgarie. L’Iran n’a pas besoin de missiles à plus grande portée car toutes ses cibles potentiels sont déjà à portée.
Le Stockholm Institute for Peace Research (SIPRI) a récemment analysé la question de la dissuasion balistique iranienne. Il conclut que l’Iran en a un besoin légitime :
Depuis les années 80, quand l’Irak attaquait les villes iraniennes, les missiles ont joué un rôle important dans la sécurité nationale. Ces missiles servent de protection face aux immenses capacités militaires de ses rivaux régionaux (surtout Israël, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis). La longue portée de frappe de ses rivaux repose principalement sur une armée de l’air équipée par l’Occident qui utilise des missiles de croisière et des bombes de haute précision. Au contraire, l’Iran, dont l’équipement aérien désuet date d’avant la révolution islamique de 1979, cherche à être au maximum auto suffisant dans la production de missiles balistiques.
Les missiles de moyenne portée iraniens, capables d’atteindre Israël et les bases militaires de la région, servent à dissuader toute attaque contre le pays. La menace d’une attaque s’est particulièrement révélée dans l’escalade de la crise nucléaire entre 2005 et 2012, quand Israël et les États Unis menaçaient de frapper les installations nucléaires de l’époque.
Un tweet de John Bolton, lié à celui du Département d’État a encore moins de sens que celui de Pompeo :
John Bolton @AmbJohnBolton – 20:09 UTC – 1 Dec 2018
L’Iran vient de procéder à l’essai d’un missile balistique soumis à l’INF capable d’atteindre Israël et l’Europe. Ce comportement provocateur ne peut plus être toléré.
Le traité INF commence par cette phrase :
Les États Unis d’Amérique et l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, nommés ci-après les parties,…
Ce traité et les portés de missiles qu’il règle n’ont donc rien à voir avec l’Iran ou qui que ce soit d’autre que les deux pays signataires. Que Bolton ait toujours voulu abroger ce traité avec la Russie, et y arrive aujourd’hui, est un sujet complètement différent.
Avec son article de désinformation, Reuters, ou tout du moins son correspondant à Genève, soutient visiblement la campagne des néocons qui, espèrent-ils, débouchera sur une guerre contre l’Iran.
C’est une info bidon provenant de l’une des principales agence de presse “occidentale” au sujet de soi-disant intentions de l’Iran.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone