Par Phil Butler – Le 10 septembre 2017 – Source New Eastern Outlook
Depuis le Forum économique asiatique à Vladivostok, le président russe Vladimir Poutine a affirmé que « la Corée du Nord mangera de l’herbe avant de renoncer aux armes nucléaires ». La simple vérité et la logique de la déclaration a fait clairement comprendre à la plupart des personnes sensées que les sanctions et les bruits de botte servent à exaspérer et à séparer les nations. Mais le pragmatisme de M. Poutine soulève la question : « Que veut la Corée du Nord ? »
Quelqu’un a-t-il rapporté l’autre version, du côté de Pyongyang, de la crise interminable sur la péninsule de Corée ? Si quelqu’un l’a fait, je ne connais aucun citoyen américain qui en ait été informé. Depuis que l’Union soviétique et les États-Unis ont séparé la Corée après la Seconde Guerre mondiale, des frictions permanentes ont existé entre le Nord et le Sud. Depuis que la Corée du Nord a envahi le Sud, provoquant la guerre de Corée (1950-1953), le Nord socialiste a été dans un état de préparation constant, où le militarisme est au premier rang dans la société. Sans entrer dans un cours d’histoire complet, la Corée du Nord a de bonnes raisons pour une préparation militaire maximum ces décennies, en particulier si on examine les stratégies adoptées pour la guerre de Corée par les généraux étasuniens. Cette guerre a été une guerre d’usure et le véritable point de départ d’une Guerre froide qui minerait pour finir les énergies de tous les pays sur la terre. Pour la Chine, la contribution nord-coréenne à la victoire communiste n’a jamais été oubliée depuis la création de la République populaire de Chine en 1949. Lorsque la Chine s’est sentie menacée et est entrée en guerre, la menace d’un conflit nucléaire mondial est devenue une possibilité réelle. Si on garde à l’esprit la géographie de la Corée, il est facile de comprendre que l’avertissement du président Poutine sur une situation présente se développant en une « catastrophe mondiale totale » n’est pas du sensationnalisme. Une intervention américaine sur la péninsule aujourd’hui conduirait presque certainement à une rupture amère des relations entre des nations clés.
Les populations de Corée du Nord et du Sud n’ont jamais été le souci des autres pays. C’est la froide réalité de la crise actuelle. La Corée a toujours été une question de confinement et de géostratégie. Le premier à le reconnaître (par inadvertance) a été le président Harry Truman lorsqu’il a admis dans son autobiographie que l’ « action de police » visait à affronter les régimes communistes soviétique et chinois. Ce fait a été également souligné dans le National Security Council Report 68 (NSC-68) déclassifié (1975). Citation du livre du président Truman :
« Le communisme agissait en Corée, exactement comme Hitler, Mussolini et les Japonais l’avaient fait dix ans, quinze ans et vingt ans plus tôt. J’étais convaincu que si ont permettait à la Corée du Sud de tomber, les dirigeants communistes seraient encouragés à s’emparer de pays plus proches de nos côtes. Si on permettait aux communistes d’entrer dans la République de Corée sans opposition du monde libre, aucun petit pays n’aurait le courage de résister à la menace et à l’agression de voisins communistes plus forts. »
Mais la position de la Corée du Nord, les vrais désirs du peuple de ce pays n’ont jamais été abordés. Tout ce que nous en savons, c’est le récit du confinement et de la crise. À partir de là, nous pouvons choisir d’explorer les sombres vérités d’antan, d’essayer de justifier les conflits d’intérêt perpétuels, ou nous pouvons choisir d’examiner les idées et les politiques qui créeront une paix perpétuelle. Qui a commencé la guerre froide, quels pays étaient en faute ou sur une position défensive alors a peu d’importance si on doit progresser. Pour répondre à la question « Que veut la Corée du Nord ? », il semble clair que les réponses sont l’indépendance et la prospérité. Mais depuis la chute de l’Union soviétique et le retrait du soutien de Moscou, l’idée audacieuse de l’autosuffisance de la politique du Juche s’est engagée dans une sorte de catastrophe paradoxale. La viabilité est impossible, en particulier avec des dépenses inutiles et le militarisme. Aujourd’hui, Kim Jong-un affronte une spirale descendante presque impossible à stopper dans sa politique intérieure et extérieure, à moins d’une alternative. La manière dont je vois la posture nucléaire de son régime est un appel à tenir compte des besoins de son pays dans lequel lui et ses partisans ne perdent pas la face. Mais le président américain Donald Trump et les alliés japonais ne construisent aucun pont que le dirigeant nord-coréen pourrait franchir. Les raisons en sont tout à fait évidentes : la dynamique étasunienne nécessite un conflit permanent pour se maintenir.
Les preuves de mon argument sont nombreuses, surtout si on prend en compte la « politique du rayon de soleil » de la Corée du Sud. En 2000, son dirigeant Kim Dae-jung a reçu le prix Nobel de la paix pour avoir appliqué cette politique avec succès, qui était exactement le « pont » que je demande. L’administration Bush a veillé à ce que ce rétablissement des liens entre le Nord et le Sud ne réussisse jamais. Barack Obama a joué son rôle de provocateur de crise et maintenant Trump a été rappelé à l’ordre en faisant la même chose. La rédactrice du magazine Providence, Anne R. Pierce, a appelé les stratégies de ce président « la politique nord-coréenne imprudente, cruelle de l’administration Obama » et c’est exactement ça. Pour ceux qui ne sont pas familiers de la question, la « politique du rayon de soleil » a eu pour résultat des contacts politiques plus importants entre Séoul et Pyongyang et beaucoup d’autres moments historiques dans les relations inter-coréennes, y compris plusieurs initiatives commerciales de haut niveau. Lorsque Kim Dae-jung et Kim Jong-il se sont rencontrés en 2000, les espoirs de réconciliation sont montés très haut. Quelques lecteurs se rappellent peut-être qu’après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, l’administration américaine a déclaré que la Corée du Nord faisait partie de l’Axe du Mal. C’était après que la Corée du Nord ait de nouveau rompu ses liens avec le Sud. Pour mon argumentation, les implications sont claires comme de l’eau de roche. Et à la question sur ce que veut la Corée du Nord, la « normalisation » des relations devrait être la conclusion indiscutable que nous évacuons. Des gestes d’égalité et d’amitié ont entraîné un résultat positif, mais les politiciens américains conseillent à Donald Trump de menacer, comme Bush l’avait fait. Comme Vladimir Poutine l’a suggéré l’autre jour, les diplomates américains semblent incapables de s’exprimer intelligemment. L’affirmation que la « politique du rayon de soleil » est la clé pour apaiser la situation en Corée est aussi soutenue par Patrick McEachern, l’auteur de Inside the Red Box : North Korea’s Post-Totalitarian Politics, qui compare les démonstrations nucléaires de la Corée du Nord sous la « politique du rayon de soleil » et après. Le fait est que le Nord brandit des sabres nucléaires plus souvent depuis que cette politique a échoué.
Maintenant que Poutine et le président sud-coréen Moon Jae se sont rencontrés à Vladivostok, on dit que Moon adoptera bientôt une nouvelle « politique du rayon de soleil » avec l’aide de Moscou et Beijing. Quelques lecteurs se rappelleront que Moon était le chef d’état-major de Roh Moo-hyun, le dernier président libéral de la Corée, l’homme qui a continué la « politique du rayon de soleil » de son prédécesseur Kim Dae-jung. Cela m’amène à un dernier point qui concerne Moon, Poutine et même le Japonais Abe. Un prix Nobel de la paix attend toujours Poutine et celui qui assure un avenir pour la Corée du Nord et du Sud attrapera certainement le prix. Le rôle croissant de Poutine sur la scène mondiale, ses mouvements évidents vers l’Est, et en particulier sa modération devant une position agressive de l’Occident sont des éléments positifs dont les Coréens ont besoin.
La dure vérité de cette situation est que Pyongyang a désespérément besoin d’une bouée de sauvetage, mais ils ne veulent pas la mendier. De mon point de vue, je ne le leur reproche pas du tout. Montrer la faiblesse des oligarques de son pays est comme du sang dans un bassin plein de requins. Les Coréens du Nord meurent de faim mais ils sont trop fiers pour ramper, cela devrait être on ne peut plus clair. Je pense que si Donald Trump s’intéressait davantage à résoudre ces crises qu’à sembler en avoir « une bonne paire », le monde irait beaucoup mieux. « Choc et effroi » sur la péninsule de Corée avec des retombées sur la Chine, la Russie et le Japon ne se fera tout simplement pas. Je parie que Poutine va bientôt rétablir l’approvisionnement alimentaire pour la Corée du Nord.
Phil Butler est un enquêteur et un analyste politique, un politologue et un expert de l’Europe de l’Est, exclusivement pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.
Note du Saker Francophone Il est peu probable que les Nord Coréens soient au bord de la famine. On peut penser que la Russie et la Chine ravitailleront la Corée du Nord en fonction des besoins, au moins pour compenser les effets du blocus et des manœuvres militaires au moment des récoltes pour forcer Pyongyang à mobiliser ses soldats paysans.
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Hervé pour le Saker francophone