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L’Allemagne cherche à réduire les sanctions contre la Russie.

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Par George Friedman – Le 1er juin 2016 – Geopolitical Futures

Le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier a déclaré le 31 mai que l’Allemagne envisageait un assouplissement progressif des sanctions contre la Russie, en cas de progrès substantiels sur la question ukrainienne. La veille, l’hebdomadaire allemand Der Spiegel avait publié un article indiquant que le gouvernement de la chancelière allemande, Angela Merkel, envisage de lever certaines sanctions initiales telles que les restrictions de voyage, en contrepartie de la coopération de Moscou sur les élections locales en Ukraine orientale. L’article a précisé que les hauts fonctionnaires désiraient devenir plus proactifs pour trouver un moyen de sortir de l’impasse.

La Russie a clairement démontré qu’elle ne changerait pas sa politique envers l’Ukraine en raison des sanctions et l’Ukraine est devenue une sorte de conflit gelé. Kiev n’arrive pas à reprendre le contrôle des régions du pays sous le contrôle des éléments pro-russes, elle ne peut pas non plus changer le statut de la Crimée. En même temps, la Russie ne peut pas empêcher Kiev d’établir des liens étroits avec l’Europe et les États-Unis, elle ne peut pas non plus déclencher un soulèvement dans l’est de l’Ukraine. Ne voulant pas intervenir directement, la Russie s’est retrouvée bloquée. Et une intervention directe ne serait pas facile, ni sans risque pour l’opération elle-même ou les intérêts nationaux russes.

Par conséquent, il serait surprenant que les Allemands ne recherchent pas d’autres moyens d’en finir avec les sanctions et de normaliser les relations bilatérales avec la Russie. Du point de vue allemand, le pire scénario serait une guerre froide sur son front est. L’Union européenne est suffisamment fragile pour effrayer l’Allemagne. Une confrontation entre l’Europe et la Russie briserait probablement l’UE. L’OTAN est le système européen de défense, mais elle a réagi très peu à ce point [Le problème vient surtout du fait que l’organisation est aux mains des serviteurs du système et ne prend pas du tout en compte l’intérêt des peuples et nations européennes, NdT]. Les États-Unis voulant utiliser l’OTAN comme véhicule pour mener une stratégie de confinement contre la Russie, la confrontation devrait durer et même dégénérer.

Mais l’Allemagne a besoin de garder une UE unie, parce qu’environ un quart de son PIB provient des exportations vers l’Europe. L’espoir de pays comme la Pologne, la Roumanie et les pays baltes, est que l’Allemagne participe pleinement à contenir la Russie. D’autres parties de l’Europe qui n’ont aucun intérêt à une telle confrontation, font pression sur l’Allemagne pour bloquer la stratégie américaine. Dans cette situation, l’Allemagne est donc forcée de ne pas satisfaire une partie de l’Europe. Compte tenu de la fragilité de l’UE, la pression d’une guerre froide pourrait être le coup final porté à l’unité européenne.

Étant donné que les Russes n’ont toujours pas capitulé face aux sanctions, il est peu probable qu’ils le fassent maintenant. Par conséquent, il est dans l’intérêt de l’Allemagne de désamorcer la confrontation avec la Russie, et pour ce faire, elle doit à minima réduire les sanctions ou, mieux, les supprimer.

Il existe une base de compromis pour l’Ukraine. Les Russes veulent une Ukraine neutre. Kiev peut entretenir des relations économiques et politiques avec qui elle souhaite, mais ne doit pas faire partie du système de défense occidental. Ce que la Russie ne peut pas tolérer, est d’avoir des forces occidentales stationnées à sa frontière avec l’Ukraine. Cela représenterait une menace existentielle pour elle.

Bien qu’une telle présence ne soit qu’une lointaine possibilité, la Russie a appris, par son histoire, que des possibilités peuvent rapidement se transformer en réalités. Par conséquent, la neutralisation de l’Ukraine, en termes de relations stratégiques, est le fondement de tout accord avec les Russes. D’autres questions, comme un certain degré d’autonomie pour l’est de l’Ukraine, sont gérables si la Russie obtient la neutralisation de l’Ukraine.

Bien sûr, sur la liste des autres points – beaucoup plus importants que l’autonomie d’Ukraine orientale – que la Russie voudrait réviser, se trouve la présence américaine croissante dans les pays baltes, en Pologne et en Roumanie. J’ai beaucoup écrit sur l’engagement des États-Unis depuis un siècle, pour empêcher un hégémon de rassembler les ressources de la péninsule européenne et de la Russie. Les États-Unis ont résisté à de potentiels hégémons durant les deux guerres mondiales et la guerre froide. C’est l’intérêt géopolitique fondamental des États-Unis, au-dessus de son intérêt pour qui possède quelle île en mer de Chine méridionale. La Russie, après avoir senti la poussée de l’Occident vers l’Est, a répondu comme elle le fait habituellement, en adoptant une position de blocage.

Les Russes demanderaient un retrait des forces basées sur le front est de l’OTAN. Et maintenant, nous arrivons au cœur de tout accord concernant l’Ukraine. Les Russes, voyant des force importantes basées sur leur flanc ouest, ne risquent pas de faire confiance à tout engagement de l’Occident envers la neutralisation de l’Ukraine. Les Américains ne sont pas disposés à croire que la Russie va respecter la neutralité ukrainienne, sans qu’une force américaine ne serve de moyen de dissuasion dans la région. Les Russes ne croient pas que cette force respectera la neutralité ukrainienne.

Et c’est le dilemme auquel les Allemands font face. La crise ukrainienne a attiré l’armée américaine dans leur quartier. Les Allemands, ainsi que d’autres pays européens, veulent mettre fin aux sanctions. Le déploiement des troupes des États-Unis dans la région va rendre le fait de se débarrasser des sanctions beaucoup plus difficile et a même transformé celles-ci en une question secondaire.

Les Russes ont une inquiétude plus grande encore : les intentions américaines. Par conséquent, cette tentative allemande de réduire les sanctions va se heurter à un obstacle beaucoup plus difficile. L’élimination des sanctions ne va pas apaiser les inquiétudes russes et minerait le déploiement américain, qui se déroule dans le cadre de l’OTAN. La région est dans une situation différente de ce qu’elle était lorsque les sanctions ont été imposées.

L’Allemagne, comme nous l’avons montré, fait face à de graves problèmes économiques. L’Union européenne et l’OTAN – les deux piliers de la stratégie nationale allemande – connaissent des tensions, à l’intérieur et entre eux. Et les Américains, qui poursuivent leurs propres intérêts, posent un défi sur le flanc oriental de l’UE, comme la Grande-Bretagne en pose un à l’ouest, et l’Europe méditerranéenne au sud.

La stratégie habituelle de l’Allemagne est de ne rien faire. Mais ne rien faire, dans ce cas, veut dire permettre à un ensemble de forces déstabilisatrices de saper les intérêts fondamentaux allemands. Alors que les États-uniens et les Russes poursuivent leurs intérêts en Europe, l’Allemagne ne peut plus agir selon sa stratégie séculaire de renforcer sa puissance militaire pour protéger ses intérêts.

Prenant cela pour acquis, la seule autre option pour l’Allemagne est de trouver un autre moyen pour trouver un équilibre entre la Russie et les États-Unis. Ceux-ci sont la plus forte puissance, mais loin d’être engagée à grande échelle comme elle l’était pendant la guerre froide. La Russie est beaucoup plus faible, mais beaucoup plus proche géographiquement. Ce qui égalise la puissance des deux pays.

À l’heure actuelle, les Allemands s’inquiètent des Américains plus qu’ils ne s’inquiètent des Russes. Les Russes renforcent leurs défenses. Les Américains, pour résister à cela, peuvent faire ce qu’ils ont fait au cours du XXe siècle – couvrir l’Europe de leur puissance. Compte tenu de la vulnérabilité économique allemande pour le moment, les Américains peuvent déstabiliser les fondations de l’Allemagne. Par conséquent, il est logique pour l’Allemagne de jouer l’équilibre des forces en Europe, comme la Grande-Bretagne l’a fait au XIXe siècle, et pour cela, de tendre la main à la Russie. La Russie peut contrebalancer les États-Unis et accueillerait avec plaisir l’activité économique allemande chez elle, pour relancer son économie affaiblie.

Mais l’élimination des sanctions ne résout pas complètement les problèmes de l’Allemagne. Le cœur du problème, une guerre froide naissante à l’est, est la vraie question. Bien sûr, si l’Allemagne poursuit cette stratégie, l’OTAN et l’UE sont susceptibles de se disloquer. Mais l’Allemagne en est peut-être arrivée à la conclusion que ces institutions, même si elles survivent, ne fonctionnent plus comme avant et valent leur sacrifice si un équilibre des pouvoirs face aux Américains pouvait en ressortir.

George Friedman

Traduit par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone.

Note du Saker Francophone

George Friedman est l'ancien patron de startfor, un think-tank proche des services américains. Vous pouvez lire ici son évolution de carrière décryptée par dedefensa.

Cet article est donc étonnant d'équilibre et de pondération, presque anti-Système car très proche de la vérité de situation.

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